QUAND L’electricite a ete coupee plus tot ce mois-ci dans son appartement a Dhaka, la premiere pensee de Sabina Yeasmin a ete pour sa fille de 17 mois. La capitale du Bangladesh se remplit de moustiques porteurs de la dengue a cette periode de l’annee. Sans ventilateur ni climatiseur en etat de marche, Mme Yeasmin ne pouvait pas mettre son tout-petit sous la moustiquaire etouffante. Une penurie de diesel avait mis le generateur de secours hors service. Meme le prix des bougies avait quadruple. Mme Yeasmin pouvait a peine s’empecher de pleurer.
La coupure de courant qui a plonge son immeuble dans l’obscurite le 4 octobre a fait de meme pour la majeure partie du Bangladesh : les quatre cinquiemes des 165 millions d’habitants du pays ont perdu l’electricite pendant sept heures. Les usines sont a l’arret. Les pompes dans les immeubles ont cesse de fonctionner, privant les residents d’eau. La panne du reseau etait un symptome extreme d’une penurie d’electricite causee par la geopolitique. Au cours de la derniere decennie, le Bangladesh a ajoute une grande capacite de production pour suivre le rythme de son economie en croissance, principalement en construisant des centrales au gaz naturel qui fonctionnent avec du carburant importe. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a fait grimper le prix du gaz. Les producteurs de gaz du Golfe ont donne la priorite aux exportations vers l’Europe, qui paie le gros prix, plutot qu’a celles vers les pays pauvres.
Les problemes rencontres par le Bangladesh sont un signe avant-coureur des choses a venir. Les economies asiatiques connaitront la croissance la plus rapide au monde au cours de la prochaine decennie. Leur demande d’energie augmentera. Dans le meme temps, les pays de la region sont deja parmi les plus touches par le changement climatique. Le cout des inondations, des secheresses et des vagues de chaleur ne fera qu’augmenter. Pendant ce temps, la disponibilite des combustibles fossiles est soumise aux aleas politiques. Le succes futur de l’Asie et le bien-etre de ses habitants, y compris la capacite de garder les lumieres allumees, dependront de sa capacite a ecologiser son approvisionnement energetique assez rapidement.
C’est un formidable defi. La demande energetique des dix membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) devrait augmenter d’environ un tiers du total actuel de l’UE d’ici 2050. L’Inde a elle seule aura probablement besoin d’une capacite supplementaire equivalente a celle de l’UE actuelle d’ici 2040. Idealement, une grande partie de cette demande supplementaire sera satisfaite par les energies renouvelables. Pourtant, les combustibles fossiles continuent de dominer le mix energetique dans la region (voir graphique). Leur domination est consolidee par des subventions ou du favoritisme politique. En Inde, en Indonesie, en Malaisie et aux Philippines, le charbon, le plus sale des combustibles fossiles, reste roi. L’Inde, troisieme emetteur mondial apres la Chine et l’Amerique, a fixe une date cible zero carbone de 2070, deux decennies plus tard que les grandes economies occidentales. Certains pays n’ont encore pris aucun engagement.
Rompre avec le charbon est une priorite. Bien que les centrales au charbon existantes soient necessaires pour assurer la stabilite des reseaux dans la region pour les annees a venir, la construction de nouvelles doit ralentir. La Chine, le Japon et la Coree du Sud, qui financaient 95 % de ces centrales, ont promis de cesser de les financer a l’etranger, mais avec des lacunes. De nouvelles formes de financement devraient aider a eliminer les anciennes. L’Inde, l’Indonesie et le Vietnam font pression pour copier un modele en cours d’essai en Afrique du Sud, ou les pays riches accordent des subventions et des prets bon marche pour fermer les generateurs de charbon. La Banque asiatique de developpement veut combiner aide et capitaux prives pour refinancer les dettes des barons du charbon. L’idee est de leur permettre de gagner de l’argent plus tot que prevu a condition qu’ils ferment leurs usines plus tot egalement.
En ce qui concerne les nouvelles sources d’energie, les espoirs grandissent pour l’hydrogene «vert», issu de la separation de l’eau a l’aide d’energies renouvelables. L’hydrogene est abondant, propre et dense en energie, mais la technologie et l’infrastructure n’ont pas encore ete testees a grande echelle. Les plans sont neanmoins ambitieux. Dans la region de Pilbara en Australie-Occidentale, un centre d’energie renouvelable couvrira, selon ses promoteurs, 6 500 kilometres carres (2 500 miles carres) de desert et aura une capacite maximale de 26 GW, a utiliser pour produire de l’hydrogene et de l’ammoniac (un moyen de stocker l’hydrogene et le rendre portable) pour l’exportation.
Compte tenu des incertitudes autour de l’hydrogene vert, le solaire et l’eolien seront pour l’instant au cour de la transition energetique asiatique. Certains revent grand : une entreprise australienne promet une liaison electrique sous-marine de 30 milliards de dollars australiens (18,7 milliards de dollars) envoyant de l’electricite a partir de panneaux solaires dans le Territoire du Nord de l’Australie a Singapour, en utilisant 12 600 km (7 800 miles) de cables. S’il est acheve comme promis, il fournira d’ici 2029 un sixieme de l’electricite de la cite-Etat.
La plupart des projets renouvelables asiatiques seront de plus petite envergure. Pourtant, leur impact cumulatif pourrait etre important. L’Economist Intelligence Unit, une societe sour de The Economist, prevoit que les energies renouvelables doubleront leur part dans le mix electrique asiatique de 15 % a 31 % d’ici 2031. La part de l’Inde atteindra 21 %, avec 200 GW de capacite renouvelable non hydroelectrique. La Chine devrait ajouter 700 GW de cette capacite. Le chef de l’agence de planification chinoise affirme que 450 GW de projets eoliens seront construits dans le seul desert de Gobi.
Pour que la transition fonctionne, le nucleaire devra faire partie du melange, comme c’est deja le cas en Chine. Le Bangladesh, l’Inde et la Coree du Sud ajoutent tous de la capacite nucleaire. La fabrication a grande echelle de produits energetiques verts en Asie y contribuera. La Malaisie, le Vietnam et la Coree du Sud sont les plus grands fabricants mondiaux de modules solaires apres la Chine. L’Indonesie est le plus grand producteur de nickel, un intrant vital pour les batteries. La tentative du pays de moderniser sa transformation du nickel et d’inciter les fabricants de batteries sud-coreens et etrangers a s’installer est un succes notoire. Tim Gould, economiste en chef a l’Agence internationale de l’energie, predit que le nickel rapportera plus a l’Indonesie que le charbon ne l’a jamais fait.
Cependant, tous les projets ne seront pas commercialement viables. Sevrer l’Asie du carbone necessitera entre 26 et 37 milliards de dollars d’investissements d’ici 2050, estime l’Asia Investor Group on Climate Change, un club d’entreprises. Des dons et des subventions des pays riches seront necessaires pour stimuler l’investissement prive. Le Premier ministre indien, Narendra Modi, a nomme son prix pour avoir accepte le zero net : 1 000 000 000 $ de financement d’ici 2030 seulement. C’est dix fois le montant annuel promis a tous les pays pauvres dans le cadre de l’accord de Paris de 2015, dont peu a jusqu’a present ete decaisse. Lorsque les pays se reuniront en Egypte le mois prochain lors du sommet annuel de l’ONU sur le climat, l’argent sera au cour des discussions. L’avenir a faible emission de carbone de l’Asie depend du resultat.