Une raison couramment invoquée par les électeurs pour choisir Giorgia Meloni et son parti Frères d’Italie (FdI) lors des élections générales du mois dernier était sa constance. Au cours de ses huit années à la tête du parti, elle n’avait jamais faibli dans son plaidoyer en faveur de politiques conservatrices radicales, résistant même à l’attrait du pouvoir en 2021 en refusant de rejoindre le gouvernement d’unité nationale sortant de Mario Draghi.
Cependant, sur la preuve des mouvements de Mme Meloni depuis qu’elle est devenue la première femme Premier ministre d’Italie le 21 octobre, la dernière chose que l’on devrait attendre d’elle est la cohérence. Destinée à gouverner avec deux partenaires de coalition grincheux et considérée dans une grande partie de l’Europe comme une eurosceptique d’extrême droite, elle a trop d’équilibres à trouver et de peurs à apaiser pour rester dogmatique.
Dans son premier discours au parlement, le 25 octobre, Mme Meloni a déployé des efforts sans précédent pour dissiper les appréhensions suscitées par son allégeance passée et celle de son parti au néo-fascisme. « Nous combattrons toutes les formes de racisme, d’antisémitisme, de violence politique et de discrimination », a-t-elle déclaré. Utilisant un langage plus fort que jamais, Mme Meloni a déclaré que les lois anti-juives adoptées sous la dictature de Benito Mussolini en 1938 étaient « une honte qui entachera notre peuple pour toujours ». De manière moins convaincante, elle a affirmé qu’elle n’avait jamais ressenti de sympathie pour les régimes non démocratiques (même si, dans une interview filmée en tant que jeune militante, Mme Meloni a fait l’éloge de Mussolini).
Son discours aura trouvé grâce à Washington. Reconnaissant que l’invasion de la Russie avait entraîné des coûts énergétiques plus élevés qui ruineraient les entreprises et coûteraient des emplois en Italie, elle a insisté sur le fait que « ceux qui croient que la liberté de l’Ukraine peut être échangée contre notre tranquillité d’esprit ont tort ». A Bruxelles et à Francfort, les observateurs pourraient être plus méfiants. Certes, Mme Meloni n’a fait aucune mention de la révision complète des traités de l’UE qui figurait autrefois dans le manifeste de son parti. Mais elle s’est réservé le droit d’en critiquer le fonctionnement, jurant de « faire entendre haut et fort la voix [de l’Italie] ». Et elle a pris un coup à la BCE sur sa politique de taux d’intérêt.
L’Italie devrait recevoir près de 200 milliards d’euros de subventions et de prêts bon marché du fonds de relance post-pandémique de l’UE. Mais le flux de trésorerie dépend de l’introduction de réformes structurelles, et Mme Meloni ne s’est pas engagée dans son discours de cette semaine à les mettre en œuvre (bien que son intérêt personnel suggère qu’elle devra le faire). Cela, cependant, était tout à fait d’une pièce avec l’incertitude qui s’accroche à une grande partie de l’orientation économique de son gouvernement. Les Frères ont hérité de leurs ancêtres politiques un goût pour l’intervention de l’État qui est un anathème pour les autres principaux partis de la coalition, la Ligue du Nord et Forza Italia de Silvio Berlusconi. Apparemment embrassant le libéralisme économique, Mme Meloni a déclaré que son gouvernement s’engagerait dans un programme de simplification et de déréglementation pour garantir le moins d’interférence possible avec les entreprises. Mais elle semblait aussi préfigurer une renationalisation des infrastructures stratégiques de l’Italie, à commencer par les communications. La propriété des réseaux clés serait publique, a-t-elle dit, tandis que les opérateurs continueraient à se faire concurrence librement sur eux.
Dans ce qui ressemblait à une tentative d’éclipser et d’anticiper Mme Meloni, le chef de la Ligue, Matteo Salvini, a tenu un « sommet économique » à la veille de son grand discours pour convenir de la ligne de son parti sur les politiques que le gouvernement devrait adopter. M. Salvini est également ministre de l’Infrastructure, un poste qui lui offre le contrôle des ports et des garde-côtes italiens. Cela lui donne à son tour son mot à dire dans la gestion des migrants sauvés de la Méditerranée. Mais le ministère de l’équipement lui offre aussi une chance de raviver la popularité déclinante de son parti en autorisant des investissements coûteux, générateurs d’emplois et de profits (il réclame déjà un pont pour relier la Sicile au continent). Mme Meloni, en revanche, a cloué ses couleurs au mât de la prudence budgétaire. La façon dont ce bras de fer se déroulera peut également dépendre du nouveau ministre des Finances.
Certaines choses sont claires. Mme Meloni a l’intention de dépenser la majeure partie, sinon la totalité, d’un excédent pratique de 10 milliards d’euros laissé par M. Draghi dans de nouvelles mesures pour compenser le fardeau des coûts énergétiques. Plus controversée, elle envisage un moratoire sur les amendes pour non-paiement des impôts. Elle s’est également engagée à prendre d’autres mesures pour stimuler la croissance, notamment des réductions de l’impôt sur le revenu et sur l’emploi et l’extension d’un taux forfaitaire pour les travailleurs indépendants. Mais celles-ci, comme une réforme du système de retraite, seraient soit introduites progressivement, soit introduites plus tard.
Mme Meloni veut ouvrir des gisements de gaz offshore inexploités et supprimer les obstacles bureaucratiques au développement des énergies renouvelables, en particulier dans le sud. Les deux mesures sont vouées à se heurter à l’opposition, cependant. Une raison importante de la bureaucratie entourant les parcs éoliens et solaires est que les mafias italiennes se sont avérées aptes à obtenir les contrats pour les construire. Comme Mme Meloni le sait sans doute, l’Italie n’est pas un pays facile à gouverner.