Meme les statues partent. Pendant des decennies, les bustes en pierre et en bronze de Fyodor Ushakov et Alexander Suvorov, deux commandants russes du XVIIIe siecle, ont domine le centre de Kherson, une ville du sud de l’Ukraine.
Fin octobre, sous le couvert de l’obscurite, ils ont disparu, vraisemblablement emportes par les troupes russes qui occupent la ville depuis mars. Les vivants bougent aussi. Les autorites fantoches installees par les Russes evacuent des milliers de residents restants de la ville a travers le Dniepr, plus profondement dans le territoire sous controle russe. Certains officiers russes suivent leurs traces. Ils ne sont pas legers. Les responsables ukrainiens ont declare que l’argent liquide avait ete retire des coffres de la Promsvyazbank, la plus grande banque russe de la ville. Les pillages sont devenus monnaie courante.
Des mois de frappes d’artillerie ukrainienne semblent enfin avoir ouvert la voie a des avancees sur le terrain dans la province environnante de Kherson. Depuis debut octobre, les forces ukrainiennes ont perce les defenses russes dans le nord-est de la province, reprenant plus de 500 km2 de territoire. Mais l’evacuation de la ville et le retrait de certaines troupes ne signifient pas que la Russie est sur le point d’y renoncer. Les Ukrainiens qui avancent veulent eviter une bataille urbaine, qui risquerait de laisser la ville en ruine. Mais ils n’ont peut-etre pas le choix.
Kherson est la porte d’entree de la Crimee, occupee par la Russie depuis 2014. En septembre, un mois apres le lancement par l’Ukraine de sa contre-offensive sud, les Russes ont officiellement annexe la province de Kherson, ainsi que trois autres : Lougansk, Donetsk et Zaporijia. Les bombardements intensifs ukrainiens et l’utilisation de systemes d’artillerie americains HIMARS capables d’atteindre des cibles situees loin derriere les lignes ennemies ont detruit des bases et des voies d’approvisionnement russes, y compris des ponts sur le Dniepr.
Mais cela n’a pas assoupli les defenses russes autant que prevu. « Nous pensions qu’ils essaieraient de deplacer leurs bases loin pour sauver leurs officiers et leurs armures », explique Volodymyr Omelyan, capitaine de l’armee et ancien ministre du gouvernement, recemment revenu du front de Kherson. « Mais apres avoir detruit une base, ils deplacent plus de personnes sur place et nous frappons a nouveau. » M. Omelyan dit que les commandants russes sont en effet ramenes sur la rive est du fleuve, mais sont remplaces par des troupes ordinaires, y compris de nouveaux conscrits.
Les Russes retirent leurs troupes les plus performantes pour les transformer en unites capables de passer a l’offensive au debut de l’annee prochaine, selon une source ukrainienne du renseignement. La defense des bastions russes sera laissee pour l’essentiel aux troupes nouvellement mobilisees. Au moins pour l’instant, les Russes ne battent pas en retraite, mais se regroupent. La Russie ne peut pas se permettre d’abandonner la rive ouest du Dniepr aux Ukrainiens, explique Oleg Zhdanov, un expert militaire. « La defense dans la direction de Zaporijia s’effondrerait. Ils perdraient la centrale nucleaire, le canal de Crimee du Nord, c’est-a-dire l’approvisionnement en eau de la Crimee, et le corridor terrestre vers la Crimee », dit-il. Mais les Russes sont parfaitement conscients que l’Ukraine a le vent en poupe.
Pendant ce temps, la Russie a commence a parler de la menace d’une bombe sale ou d’une attaque contre la centrale nucleaire de Zaporijia, qu’elle imputerait aux Ukrainiens. Volodymyr Zelensky, le president ukrainien, affirme que la Russie prevoit de faire sauter le barrage de Nova Kakhovka, en amont de Kherson. Les inondations qui en resulteraient empecheraient les troupes ukrainiennes de poursuivre les Russes a travers le Dniepr. Ils deplaceraient egalement des centaines de milliers de personnes.
Les avertissements de la Russie sont directement lies a la situation a Kherson. Vladimir Poutine espere faire pression sur l’Ukraine et ses partenaires occidentaux pour qu’ils accedent aux negociations et a un cessez-le-feu, dit M. Zhdanov. « Poutine doit arreter les forces armees ukrainiennes a tout prix », dit-il, « car il comprend que son armee ne detient pas ce qu’elle a capture ». Les Ukrainiens ne risquent pas de ceder a un tel chantage. A Kherson, M. Poutine et ses commandants pourraient bientot etre confrontes a des choix difficiles.