Il y a des avantages a etre curieux juste pour la curiosite au lieu de poursuivre un objectif plus eleve – quelque chose que je crois que personne ne peut mieux nous apprendre que Leonard de Vinci. Voici un exemple pour illustrer mon propos.
A l’epoque ou il perfectionnait le sourire de Mona Lisa, Leonardo passait ses nuits au fond d’une morgue, epluchant la chair des cadavres et exposant les muscles et les nerfs en dessous.
Il est devenu fascine par la facon dont un sourire commence a se former et s’est charge d’analyser tous les mouvements possibles de chaque partie du visage et de determiner l’origine de chaque nerf qui controle chaque muscle facial.
Cela peut sembler raisonnable pour un perfectionniste comme lui, mais ce qui est interessant, c’est que tracer lesquels de ces nerfs sont craniens et lesquels sont rachidiens n’etait pas necessaire pour peindre un sourire. Mais Leonardo avait besoin de savoir.
Il a peint la Joconde pendant quatorze ans jusqu’a sa mort en 1519. S’il avait vecu une autre decennie, il aurait probablement continue a l’affiner encore plus longtemps.
Livrer une ouvre, la declarer achevee, fige son evolution. Leonardo n’aimait pas faire ca. Il y avait toujours quelque chose de plus a apprendre, un autre trait a glaner dans la nature qui rendrait une image plus proche de la perfection. Par exemple, il a mis a jour Saint Jerome dans le desert apres trente ans, lorsque ses experiences d’anatomie lui ont appris quelque chose de nouveau sur les muscles du cou.
Leonardo a apprecie le defi de la conception plus que la corvee de l’achevement. Une des raisons pour lesquelles tres peu de ses peintures ont ete achevees.
Oui, il etait extremement imaginatif et creatif dans plusieurs disciplines, mais aucune de ces competences n’etait innee. Leonardo n’avait pas ete scolarise et pouvait a peine lire le latin ou faire de longues divisions. Son genie reposait sur des competences que nous pouvons aspirer a ameliorer en nous-memes, comme une curiosite insatiable et une observation intense.
Sa curiosite portait souvent sur des phenomenes auxquels la plupart des personnes de plus de dix ans ne se posent plus de question: pourquoi le ciel est-il bleu? Comment se forment les nuages ? Pourquoi nos yeux ne voient-ils qu’en ligne droite? C’est quoi bailler?
Outre les questions qu’il voulait explorer, il a egalement enumere des choses qu’il voulait comprendre. Par exemple, il ecrit : « Observez la patte de l’oie : si elle etait toujours ouverte ou toujours fermee, la creature ne pourrait faire aucun mouvement. Ou, un assez excentrique, « Decrivez la langue du pic. »
Je veux dire qui diable deciderait un jour sans raison apparente qu’il voulait savoir a quoi ressemble la langue d’un pic ! Ce n’est pas une information dont Leonardo avait besoin pour peindre un tableau. Mais ca y etait.
D’autres sujets qu’il enumerait dans ses cahiers etaient plus ambitieux. « Quel nerf fait bouger l’oil de sorte que le mouvement d’un oil deplace l’autre ? » « Decrivez le debut d’un humain quand il est dans l’uterus. » Avec le pic, il enumere « la machoire du crocodile » et « le placenta du veau » comme des choses qu’il veut decrire.
Sa curiosite etait aidee par l’acuite de son oil, qui se concentrait sur les choses que le reste d’entre nous regardait. Une nuit, il a vu des eclairs derriere certains batiments, et pendant cet instant, ils ont semble plus petits, alors il a lance une serie d’experiences pour verifier que les objets paraissent plus petits lorsqu’ils sont entoures de lumiere et paraissent plus grands dans la brume ou l’obscurite.
L’astuce pour observer de pres une scene ou un objet, selon Leonard, est de regarder attentivement et separement chaque detail. Il a compare cela a regarder la page d’un livre, qui n’a pas de sens lorsqu’elle est prise dans son ensemble et doit plutot etre regardee mot par mot.
« Si vous souhaitez avoir une bonne connaissance des formes des objets, commencez par les details de ceux-ci, et ne passez pas a la deuxieme etape jusqu’a ce que vous ayez le premier bien fixe en memoire », indique Leonard.
Outre les choses qu’il voulait observer, Leonardo avait egalement la liste des choses qu’il voulait apprendre du jour, en particulier des autres. « Demandez au maitre de l’arithmetique de vous montrer comment equarrir un triangle. Demandez a Giannino le Bombardier comment la tour de Ferrare est muree. Demandez a Benedetto Protinari par quel moyen on marche sur la glace en Flandre. Demandez a un maitre en hydraulique de vous expliquer comment reparer une ecluse, un canal et un moulin a la maniere lombarde. Obtenez la mesure du soleil que m’a promise Maestro Giovanni Francese, le Francais, etc.
La beaute du carnet de Leonard est qu’il se livre a ses pensees provisoires, ses idees a moitie finies, ses croquis non polis et ses brouillons non raffines. Il a parfois declare son intention d’organiser et d’affiner ses notes de cahier dans des travaux publies, mais ne l’a jamais fait.
Comme il l’a fait avec beaucoup de ses peintures, Leonard s’accrochait aux traites qu’il redigeait, faisait occasionnellement quelques nouveaux traits et raffinements, mais ne les voyait jamais jusqu’a ce qu’ils soient rendus publics comme complets.
Le tresor de travail qu’il a laisse inedit temoigne de la nature inhabituelle de ce qui l’a motive. Il voulait accumuler des connaissances pour elles-memes et pour sa propre joie personnelle, plutot que par desir de se faire un nom public en tant qu’erudit ou de faire partie du progres de l’histoire.
« Je n’ai pas de talents particuliers », a ecrit un jour Einstein a un ami. « Je suis juste passionnement curieux. » Leonardo avait en fait des talents particuliers, tout comme Einstein, mais son trait distinctif et le plus inspirant etait son intense curiosite.
Etre curieux de tout ce qui nous entoure sans relache et au hasard est quelque chose que chacun de nous peut se pousser a faire, a chaque heure de veille, tout comme Leonardo l’a fait.
Et qu’en est-il de tous les universitaires et critiques au fil des ans qui ont conclu que Leonard a gaspille trop de temps immerge dans l’etude de sujets sans rapport et dans la poursuite de plusieurs disciplines ? La Joconde leur repond par un sourire.