Les troupes ukrainiennes sont entrees dans la ville strategique de Kherson vendredi 11 novembre sous les acclamations et les accolades des habitants. La nouvelle survient quelques jours seulement apres des informations selon lesquelles les forces d’occupation russes dans la region illegalement annexee s’etaient livrees a un pillage massif organise d’ouvres d’art du musee d’art Oleksiy Shovkunenko Kherson et les avaient emmenees a Simferopol en Crimee, la peninsule de la mer Noire annexee par la Russie en 2014.

La Russie a annonce le 9 novembre qu’elle se retirerait de Kherson, soulignant a la fois ses revers militaires dramatiques et soulevant des questions quant a savoir s’il s’agissait d’une feinte pour attirer l’Ukraine dans une bataille.

La region de Kherson est l’un des quatre territoires illegalement annexes le 30 septembre par des decrets du president russe Vladimir Poutine, faisant peser un risque immediat sur les collections des musees. En octobre, la Russie a vole des statues historiques et les ossements du conseiller de Catherine la Grande, le prince Grigori Potemkine de Kherson, affirmant qu’elle les evacuait en lieu sur. En declarant la loi martiale dans les regions annexees le mois dernier, Poutine a « auto-legalise » leur pillage. Des rapports ont egalement fait etat de projets d’« evacuation » des collections de musees en Crimee. Le ministere ukrainien de la Culture a appele l’Unesco a empecher de nouvelles actions de la Russie, les qualifiant de crimes de guerre et de « violation du droit international».

Dans un post Facebook du 3 novembre, la police de la region de Kherson a ecrit qu’elle avait « ouvert une procedure penale [pour] enlevement et deplacement par l’armee russe sur le territoire du pays agresseur […] des objets artistiques de valeur du musee d’art de Kherson».

Le musee a ecrit dans un message Facebook du 4 novembre que du 31 octobre au 3 novembre, « les « autorites » occupantes » ont amene jusqu’a quatre douzaines de personnes dans le musee, ont charge « tout ce que leurs mains ratissees pouvaient atteindre » dans des vehicules, l’art etait « emballe dans quelques chiffons » et « se sont diriges vers la Crimee », decrivant ces actions comme « l’enlevement d’une des meilleures collections d’Ukraine».

Les Forces armees ukrainiennes ont confirme le pillage dans leur rapport quotidien du 8 novembre. Svitlana Dumynska, chef du departement de la culture du conseil municipal de Kherson, a egalement confirme le pillage du musee et sa livraison a Simferopol lors d’un briefing a Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine, ou elle vit desormais. Elle a dit qu’il y a une situation similaire avec le musee d’histoire locale de Kherson, bien que « nous ayons beaucoup moins d’informations a ce sujet ».

Des rapports detailles sont susceptibles d’emerger dans les prochains jours sur l’ampleur du pillage et les mesures prises par l’Ukraine pour restituer les collections.

Les medias russes ont eux-memes revele une grande partie des preuves. Novaya Gazeta Europe, un journal d’opposition russe base en Europe, a cite Lydia, une habitante de Kherson de 75 ans, au sujet du pillage du musee d’art, qui se trouve pres de chez elle. « Depuis trois jours, des pillards russes sortent tous les tableaux », raconte-t-elle. « Ils les chargent dans leurs enormes camions [les camions de l’armee de l’Oural, ndlr]. Sans aucune protection, sans aucun emballage, comme s’ils etaient des ordures… J’ai pleure toute la soiree quand j’ai vu ca.

Des photographies de piles de peintures, pretendument issues de la collection du musee d’art de Kherson, ont circule dans les medias sociaux et d’information ukrainiens, ainsi que des photos et des videos de camions charges devant le batiment du musee de Kherson. Selon le musee, des ouvres pillees se sont retrouvees au Musee central de Taurida de Simferopol et plusieurs ont ete identifiees comme des ouvres du peintre Ivan Pokhytonov, originaire de la region de Kherson, du moderniste ukrainien Mykhailo Andriienko-Nechytailo et de Gabriel Gluck de l’ecole de peinture de Transcarpathie. D’autres images sont apparues pour montrer les ouvres en train d’etre dechargees a Simferopol.

Le Moscow Times , une publication independante desormais basee a Amsterdam, a confirme les informations avec Andrei Malgin, le directeur du musee Taurida. « En raison de l’introduction de la loi martiale sur le territoire de la region de Kherson, j’ai recu pour instruction de stocker temporairement les expositions du musee d’art de Kherson et d’assurer leur securite jusqu’a ce qu’elles soient rendues a leur proprietaire legitime », a declare Malgin a la publication. le 10 novembre.

Alina Dotsenko, directrice de longue date du musee d’art de Kherson, est partie pour Kyiv en mai apres que les occupants russes lui aient demande d’organiser une exposition de propagande. Elle a declare au groupe de presse ukrainien 1+1 le 6 novembre qu’elle avait initialement reussi a convaincre les responsables de l’occupation que la collection du musee, qui, selon elle, comprend des ouvres europeennes precieuses, avait ete deplacee avant la renovation a grande echelle de plus de 3 000 metres carres. m batiment du musee, qui a commence fin 2021. Elle a egalement efface le catalogue d’inventaire des ordinateurs du musee.

Dotsenko a declare que des membres du personnel pro-russes voyous avaient trahi le musee. L’une d’elles, la responsable du departement des expositions, Natalya Koltsova, a qui Dotsenko dit ne pas avoir confiance et qu’elle avait licenciee il y a plusieurs annees mais reembauchee, aurait revele aux autorites russes que la collection avait ete demontee pour la renovation et stockee dans le batiment plutot que evacue par les autorites ukrainiennes.

Dans l’interview, Dotsenko dit que Koltsova est venue au musee le 19 juillet avec des agents russes masques du FSB et de nouveaux gardes de securite pour entrer dans le stockage de la collection. Marina Zhilina, l’ancienne conservatrice en chef du musee, que Dotsenko a licenciee l’annee derniere, avait copie la base de donnees de la collection et a egalement ete appelee pour travailler avec les autorites russes. Des policiers pro-ukrainiens avaient travaille comme gardiens du musee jusqu’a ce qu’ils soient remplaces par la directrice collaborationniste installee en Russie, Natalya Desyatova, une ancienne chanteuse de cabaret.

« Des habitants patriotes de Kherson qui vivent a proximite » ont reussi a photographier le pillage de la semaine derniere, a declare Dotsenko, en prenant de grands risques car il est entoure de barrages routiers. Les habitants de Simferopol ont fait de meme lorsque la cargaison du musee de Kherson est arrivee en Crimee, ou elle a ete transportee dans « cinq enormes camions », a declare Dotsenko. Le materiel de bureau du musee a ete vole dans un autobus scolaire, a-t-elle ajoute.

Le ministere ukrainien de la Culture l’avait contactee au debut de l’invasion, mais n’a pas pu fournir de soutien logistique pour l’evacuation, a declare Dotsenko. « Il n’y avait pas le temps de faire quoi que ce soit », a-t-elle dit, decrivant les raids aeriens dont elle a ete temoin et l’entree des occupants russes dans la ville debut mars. « Lorsque le ministere a propose d’emballer et d’evacuer 15 000 ouvres, j’ai demande : ‘Qu’en est-il des demenageurs, des vehicules, des gardiens?' »

Vendredi, la page Facebook du musee a salue la liberation de la ville avec une image d’un tableau de 1993 de sa collection de l’artiste Serhiy Sinitsyn dans les couleurs bleu et jaune du drapeau ukrainien. « Maintenant, tout Kherson est vetu de jaune et de bleu, se preparant a accueillir les AFU [Armed Forces of Ukraine] », a declare le poste. « Nous attendons les liberateurs ! Gloire a l’Ukraine! Gloire aux forces armees ukrainiennes!