Pourquoi fais-tu de l’art ? C’est la simple question que Greater Good a posee a sept artistes. Leurs reponses sont surprenantes et tres diverses. Ils mentionnent faire de l’art pour le plaisir et l’aventure; construire des ponts entre eux et le reste de l’humanite ; reunir et enregistrer des fragments de pensee, de sentiment et de memoire ; et dire des choses qu’ils ne peuvent exprimer d’aucune autre maniere.

Toutes leurs reponses sont profondement personnelles. Ailleurs sur Greater Good , nous explorons les avantages cognitifs et emotionnels possibles des arts, et pourtant ces artistes evoquent un avantage plus fondamental : ils font simplement ce pour quoi ils se sentent nes.

Gina Gibney : Donner du pouvoir aux autres

Gina Gibney est la directrice artistique de la Gina Gibney Dance Company basee a New York, qui a ete fondee en 1991 pour servir une double mission : creer et interpreter une choregraphie contemporaine qui s’appuie sur la force et la perspicacite des femmes et des hommes , et enrichir et remodeler des vies grace a des programmes qui donnent la parole aux communautes dans le besoin, en particulier les survivants de violence domestique et les personnes vivant avec le VIH/SIDA.

Je fais de l’art pour plusieurs raisons. Dans la vie, nous eprouvons tellement de fragmentation de la pensee et des sentiments. Pour moi, creer l’art rassemble les choses.

Dans mon propre travail, cela est vrai tout au long du processus. Au debut, developper les matieres premieres de base pour le travail est profondement reflexif et informatif. Plus tard, rassembler ces materiaux sous une forme – distiller et faconner le mouvement, creer un contexte, travailler a quelque chose qui semble coherent et complet. C’est incroyablement puissant pour moi, quelque chose qui me fait vraiment avancer.

Fait interessant, le corps de mon travail est comme un catalogue des evenements et des pensees de ma vie. Pour moi, faire du travail, c’est presque comme tenir un journal. Donner cela a quelqu’un d’autre – comme une sorte de cadeau par le biais d’une performance en direct – est l’aspect le plus significatif de mon travail.

La danse est une forme d’art puissante pour la simple raison qu’elle n’a pas besoin de s’expliquer ou de se commenter. L’une des performances les plus etonnantes que j’aie jamais vues de ma vie etait celle d’une femme – une survivante de la violence domestique – dansant dans une minuscule salle de conference dans un refuge pour victimes de violence domestique pour d’autres survivants. Elle n’etait pas danseuse professionnelle. C’etait une femme qui avait fait face a des defis incroyables et qui vivait avec beaucoup de tristesse. Elle a cree et interprete un solo incroyable, mais avoir qualifie sa performance de «triste» aurait ete de diminuer ce que nous avons vecu.

C’est le pouvoir de la danse. Vous pouvez ressentir quelque besoin choisi et ressentir de l’empathie a un niveau tres profond, et vous n’avez pas de mettre des mots dessus.

Judy Dater: J’aime exprimer des emotions

Judy Dater realise des photographies depuis plus de 40 ans et est consideree comme l’une des plus grandes photographes americaines. Recipiendaire d’un Guggenheim et de nombreux autres prix, ses livres incluent Imogen Cunningham: A Portrait, Women and Other Visions, Body and Soul et Cycles.

J’aime exprimer des emotions, faire ressentir aux autres ce que je ressens lorsque je photographie des gens.

L’empathie est essentielle au portrait. J’ai fait des paysages, et je pense qu’ils peuvent etre tres poetiques et emotionnels, mais c’est different de la prise de vue directe d’une personne. Je pense que photographier les gens est, pour moi, le meilleur moyen de montrer a quelqu’un quelque chose sur lui-meme – que ce soit la personne que je photographie ou la personne qui regarde – qu’il ne savait peut-etre pas deja. C’est peut-etre presomptueux, mais c’est le desir. J’ai l’impression de m’occuper des gens quand je les photographie, et je pense que je comprends mieux les gens parce que je les regarde intensement depuis une quarantaine d’annees.

Pete Docter: C’est amusant de faire des choses

Pete Docter a ete implique dans certains des longs metrages d’animation les plus populaires et les plus marquants de Pixar Studio, notamment Toy Story, A Bug’s Life, Cars et Wall-E, mais il est surtout connu en tant que realisateur de Monsters, Inc. Docter realise actuellement Up, dont la sortie est prevue pour mai 2009.

Je fais de l’art principalement parce que j’aime le processus. C’est amusant de faire des choses.

Et je suis sur qu’il y a aussi ce desir universel de se connecter avec d’autres personnes d’une maniere ou d’une autre, de leur parler de moi ou de mes experiences. Ce que je recherche vraiment dans un projet, c’est quelque chose qui resonne avec la vie telle que je la vois et qui parle de nos experiences en tant qu’humains. Cela semble probablement assez eleve venant de quelqu’un qui fait des dessins animes, mais je pense que tous les realisateurs de Pixar ressentent la meme chose. Nous voulons divertir les gens, non seulement dans le sens vide et evasion (bien qu’il y en ait beaucoup dans nos films aussi), mais d’une maniere qui resonne avec le public comme etant veridique sur la vie – une experience emotionnelle plus profonde qu’ils reconnaissent dans leur propre existence. En surface, nos films parlent de jouets, de monstres, de poissons ou de robots ; a la base, il s’agit de choses tres universelles : nos propres luttes contre la mortalite, la perte,

En tant que cineastes, nous sommes un peu pres des hommes des cavernes assis autour du feu de camp en train de raconter des histoires, seulement nous utilisons des millions de dollars de technologie pour le faire. En racontant des histoires, nous nous connectons les uns aux autres. Nous parlons de nous-memes, de nos sentiments et de ce que c’est que d’etre humain.

Ou nous faisons juste des dessins animes. Quoi qu’il en soit, nous essayons de passer un bon moment, et nous esperons que le public aussi.

Harrell Fletcher: Tout ce que quelqu’un appelle de l’art est de l’art

Une image de « The Problem of Possible Redemption 2003 », mise en scene a la Biennale de Whitney 2004 a New York. La video est une adaptation du roman de James Joyce, Ulysse, tourne au Parkville Senior Center dans le Connecticut, les personnes agees lisant les lignes des cartes aide-memoire. 

Harrell Fletcher enseigne au departement d’art de la Portland State University. Il a expose au San Francisco Museum of Modern Art, au Berkeley Art Museum, au Socrates Sculpture Park a New York et dans de nombreux autres musees et galeries a travers le monde. En 2002, Fletcher a lance Learning To Love You More , un site Web participatif avec Miranda July, qu’ils ont transforme en un livre, publie en 2007. Fletcher est le recipiendaire du prix Alpert 2005 en arts visuels.

La question de savoir pourquoi je fais de l’art doit etre un peu decomposee avant que je puisse repondre.

Tout d’abord, qu’est-ce que l’art ? La definition de l’art que j’ai trouvee, qui semble fonctionner le mieux pour moi, est que tout ce que quelqu’un appelle de l’art est de l’art. Cela vient de ma conviction qu’il n’y a rien d’intrinseque dans l’art. Nous ne pouvons pas faire une analyse chimique pour determiner si quelque chose est de l’art ou non. Au lieu de cela, j’ai l’impression qu’appeler quelque chose «art» n’est en realite qu’une maniere subjective d’indiquer une valeur – qui peut etre esthetique, culturelle, monetaire, etc.

Si nous regardons d’autres types d’activites creatrices, nous pouvons voir comment diverses formes peuvent toutes exister et etre valides en meme temps. J’ai fait ce que je considere comme de l’art depuis que je suis enfant, d’abord des dessins, puis des photographies, des peintures, des videos, etc. Au moment ou je suis arrive a l’universite, je n’etais pas tellement interesse a faire plus de choses, et j’ai plutot commence a aller dans une autre direction, qui est parfois appelee de nos jours « Pratique sociale ».

C’est une sorte de terme deroutant car il est si nouveau et indefini. D’une maniere generale, je le considere comme l’oppose de Studio Practice – la fabrication d’objets isoles, a montrer et, esperons-le, a vendre dans un contexte de galerie. La plupart du monde de l’art fonctionne avec cette approche Studio Practice. Dans la pratique sociale, on met davantage l’accent sur les idees et les actions que sur les objets ; il peut se derouler en dehors des contextes artistiques, et il y a souvent un aspect collaboratif ou participatif dans le travail.

Revenons donc a la question pourquoi je fais de l’art. Dans mon cas, les projets que je fais me permettent de rencontrer des gens que je ne rencontrerais pas d’habitude, de voyager dans des endroits ou je n’irais pas normalement, d’apprendre sur des sujets dont je ne savais pas qu’ils m’interesseraient, et parfois meme aider les gens de petites facons qui me font du bien. J’aime dire que ce que je recherche, c’est avoir une vie interessante, et faire le travail que je fais en tant qu’artiste m’aide a y parvenir.

Kwame Dawes: un environnement d’empathie

Kwame Dawes, Ph.D., est poete distingue en residence a l’Universite de Caroline du Sud. Il est l’auteur de 13 recueils de vers, dont le plus recent est Gomer’s Song, et d’un roman, She’s Gone, qui a remporte le Hurston/Wright Legacy Award 2008 du meilleur premier roman.

J’ecris dans ce qui est probablement un vain effort pour controler d’une maniere ou d’une autre le monde dans lequel je vis, le recreant d’une maniere qui satisfait mon sens de ce a quoi le monde devrait ressembler et etre.

J’essaie de capturer dans le langage les choses que je vois et ressens, comme un moyen d’enregistrer leur beaute, leur puissance et leur terreur, afin que je puisse revenir a ces choses et les revivre. De cette facon, j’essaie d’avoir un certain sentiment de controle dans un monde chaotique.

Je veux en quelque sorte communiquer mon sens du monde – cette facon de comprendre, de s’engager, de vivre le monde – a quelqu’un d’autre. Je veux qu’ils soient transportes dans le monde que j’ai cree avec le langage.

Et donc le but ultime de mon ecriture est de creer un environnement d’empathie, quelque chose qui permettrait au miracle de l’empathie de se produire, ou les etres humains peuvent sembler sortir d’eux-memes et s’etendre dans les autres et vivre dans les autres. Cela a un pouvoir enorme pour l’etre humain. Et je le sais, parce que c’est ce que l’ecriture des autres me fait quand je la lis.

James Sturm: Les raisons sont sans importance

James Sturm est dessinateur et co-fondateur du Center for Cartoon Studies a White River Junction, Vermont. Il est l’auteur du roman graphique le plus vendu et prime The Golem’s Mighty Swing, elu meilleur roman graphique de 2000 par le magazine Time. En 2007, sa trilogie de romans graphiques historiques a ete rassemblee dans un volume intitule James Sturm’s America: God, Gold, and Golems.

J’aime la question « Pourquoi faites-vous de l’art ? » parce qu’il suppose que ce que je fais est de l’art. Une hypothese flatteuse. La question me ramene egalement a ma premiere annee d’universite, ou des questions telles que « Qu’est-ce que la nature? » » et « La realite est-elle une vague ou un cercle ? ont ete serieusement debattus (generalement tard dans la nuit et apres avoir fume trop d’herbe).

Vingt-cinq ans plus tard, j’aime a penser que je suis un peu plus lucide sur cette question. Peut-etre que la seule idee que j’ai acquise est la connaissance que je n’ai aucune idee et, deuxiemement, les raisons sont sans importance. Selon mon humeur, un jour donne, je pourrais attribuer la pratique de l’art a une impulsion mentale elevee de se connecter avec les autres ou de comprendre le monde ou a un mecanisme d’adaptation narcissique ou a un desir d’etre celebre ou a une therapie ou a ma discipline religieuse ou a donner un sentiment de controle ou un desir de ceder le controle, etc., etc., etc.

Quelle que soit la raison, une compulsion interieure existe et je continue d’honorer cet imperatif interieur. Si je ne le faisais pas, je me sentirais vraiment horrible. Je serais un homme brise. Donc, que tenter de faire de l’art soit noble ou egoiste, il n’en reste pas moins que je le ferai quand meme. Tout ce qui depasse cette declaration est de la speculation. J’aurais peur qu’en proclamant pourquoi je fais de l’art, je genere ma propre propagande.

KRS-One : le hip-hop est au-dela du temps, au-dela de l’espace

Lawrence Krisna Parker, mieux connu sous son nom de scene KRS-One, est largement considere par les critiques et autres MC comme l’une des figures les plus influentes du hip hop. Aux Black Entertainment Television Awards 2008, KRS-One a recu le Lifetime Achievement Award pour son rap et son activisme.

Je suis ne comme ca, ne pour faire de l’art, pour faire du hip hop. Et je pense que je suis juste l’une des personnes qui ont eu le courage de rester avec mon identite nee. Le hip hop me garde fidele a moi-meme, me garde humain.

Le hip hop est a l’oppose de la technologie. Le hip hop est ce que fait le corps humain : Breaking, DJing, graffiti. Les breakdances du corps humain, tu ne peux pas enlever ca. Le DJing n’est pas une technologie ; c’est l’intelligence humaine plutot que la technologie : couper, melanger, gratter. C’est physique. La manipulation de la technologie est ce que font les humains, c’est de l’art.

Ou prenez l’ecriture de graffitis. Mets un ecrit dans la main de n’importe quel enfant a l’age de deux ou trois ans. Ils n’ecriront pas sur un papier comme on leur apprendra plus tard a le faire, ils ecriront sur les murs. Ils jouent juste. C’est humain. Le graffiti vous rappelle votre humanite lorsque vous griffonnez votre expression personnelle sur le mur. Le hip hop nous aide a voir les choses du monde d’une nouvelle maniere.

C’est pourquoi le hip hop m’a garde jeune. Cela ne vous permet pas de grandir trop vite. Le hip hop est au-dela du temps, au-dela de l’espace. C’est pourquoi je fais du hip hop.